UNE COLONIE ORDINAIRE DU XXI-E SIECLE - par Ch.X.Durand
Publié: Lun Sep 06, 2010 7:47 am
Une colonie ordinaire du XXIe siècle - par Charles Xavier Durand
vendredi 3 septembre 2010, par Comité Valmy
Frédéric Martelest l’auteur de “Mainstream, Enquête sur cette culture qui plaît
à tout le monde” (Flammarion, 2010) dans lequel il se livre à l’apologie du
système culturel étasunien. Il conseille vivement à ses compatriotes « de parler
English pour exister » (sic). Tout le monde a bien sûr le droit d’exprimer ses
opinions mais quand on sait qu’il a été chef du bureau du livre à l’ambassade de
France en Roumanie de 1990 à 1992, chargé de mission au département des affaires
internationales du ministère de la Culture de 1992 à 1993 et encore attaché
culturel aux États-Unis de 2001 à 2005, donc payé pour faire rayonner la pensée
et la culture françaises et, en sous-jacent, également sa langue, on est en
droit de se poser des questions sur la pertinence de l’attribution des fonds
consacrés par le ministère des Affaires étrangères et par celui de la culture à
la promotion culturelle et linguistique de notre pays à l’étranger. Egalement,
on peut s’interroger sur les choix faits par les hauts fonctionnaires pour
assurer cette mission. Cependant, en dépit de ses déclarations d’amour pour la
culture étasunienne, Frédéric Martel affiche de manière tout à fait
contradictoire la volonté de rester accroché aux basques de notre république
vieillotte et poussiéreuse puisqu’il enseigne à Sciences-Po et à HEC et qu’il
occupe également un poste de chercheur à l’Institut national de l’audiovisuel.
Les médias n’hésitent pas à lui donner pignon sur rue et il dispose d’ailleurs
de sa propre émission intitulée “Masse critique” sur France culture !!
Suite à la publication de son livre, on a pu trouver sur Internet les
transcriptions des principaux entretiens qu’il a tenus avec les médias et qui
révèlent ses opinions quelque peu ambigües et contradictoires. Il affirme d’une
part que notre pays possède des industries culturelles très fortes, notamment
dans le secteur du jeu vidéo avec Ubisoft et Activision ! La nouvelle est de
taille ! Même s’ils sont conçus par des cerveaux français, comment des jeux tels
que “The sunken dragon”, “Roller Coaster” ou encore “Batman Vengeance”
peuvent-ils être représentatifs d’une culture prétendument “française” ?
Ensuite, il ose prétendre que la culture européenne n’existe pas aux États-Unis
alors que, par exemple, les orchestres symphoniques de ce pays jouent presque
exclusivement de la musique composée par des Européens et qu’il en est de même
en Russie, en Amérique latine et aussi, dans une moindre mesure, au Japon et en
Chine…
Il est clair que Frédéric Martel est un bel exemple du type d’individu qui ne va
pas au-delà des apparences et pour qui la culture se résume à la production
hollywoodienne au cinéma et à la télévision, à ce qu’elle a de plus clinquant et
de plus superficiel. Il ne se rend pas compte que, dans quelques années, on ne
parlera plus d’Avatar, d’Harry Potter ou de Terminator mais que, par contre, on
continuera à jouer Wagner ou Berlioz en Amérique du Nord tandis que les
étudiants en français de par le monde se pencheront encore sur les œuvres de
Victor Hugo et que les étudiants en philosophie étasuniens étudieront encore
Sartre, Barthes et Dérida…
Frédéric Martel ne semble pas être conscient du caractère très éphémère de la
prétendue culture étasunienne et il n’arrive même pas à voir que cette culture
de pacotille n’est diffusée que parce que les Étasuniens ont mis la main sur
tous les circuits de diffusion par des moyens éminemment coercitifs.Pour la
France, on peut citer par exemple les accords Blum-Byrnes de 1946 qui imposaient
des quotas minimum d’importation de films étasuniens pour un public qui, à
l’origine, n’en voulait pas.
Sans le savoir, M. Martel sert de caisse de résonance à la publicité tapageuse
que les États-Unis font pour leurs films et toute leur production prétendument
“culturelle”. Il fait partie de ces imbéciles utiles sur lesquels les médias
braquent le projecteur précisément parce qu’il fait la publicité des États-Unis
et que ces médias ont été noyautés pour assurer cette fonction.
Le cas de Martel est intéressant car il est l’exemple idéal de ce que l’on peut
appeler le “colonisé mental”, c’est-à-dire que, selon l’étymologie du verbe
“coloniser”, l’esprit de Martel est occupé, ce qui entraîne chez lui une
modification de la pensée et du comportement. Martel est l’exemple parfait du
produit de la conquête des esprits mise en place par les Étasuniens, dès la fin
de la seconde guerre mondiale et qui a été pour la première fois décrite par le
journaliste Yves Eudes en 1982 dans son livre précisément intitulé “La conquête
des esprits”. Ce livre avait été précédé de “La France colonisée” de Jacques
Thibau, paru en 1980, qui a beaucoup moins d’intérêt car il décrit les symptômes
de ce phénomène sans en dévoiler les causes profondes.
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que depuis la fin de la première guerre
mondiale, les Étasuniens nourrissaient un projet d’hégémonie planétaire et que
l’issue de la seconde guerre mondiale leur a permis de le mettre en œuvre, comme
l’a bien expliqué Jacques Pauwels dans son livre “Le mythe de la bonne guerre”.
C’est d’ailleurs davantage à des sources anglo-saxonnes qu’il faut s’abreuver
pour s’informer le mieux sur le projet impérial étasunien. Des sources telles
que Webster Tarpley, William Engdahl, James Petras, Robert Phillipson, Noam
Chomsky expliquent parfaitement ce processus. Le livre d’Yves Eudes dévoile la
fantastique machine de guerre culturelle et linguistique mise en place par les
États-Unis dès 1945. Il est à mettre en parallèle avec celui de l’Anglaise
Frances Stonor Saunders qui décrit les mécanismes mis en place par la CIA dans
son livre intitulé “Comment l’ouest fut conquis”. Ce dont il faut se rendre
compte, c’est que ce type de livre ne reçoit en Europe aucune couverture
médiatique importante. De même, la notion d’empire américain est virtuellement
inconnue en Europe alors que ce terme est d’usage courant chez les auteurs
anglo-saxons et que d’anciens hauts responsables politiques américains comme
Zbigniew Brzeziński ou Henry Kissinger l’utilisent couramment.
“La conquête des esprits” est un ouvrage capital et l’un des rares qui a décrit
les mécanismes qui ont permis à l’empire étasunien de s’étendre sur l’Europe
ainsi que d’autres pays. Toutefois, avant d’aller plus loin, il est nécessaire
d’en clarifier la signification. Un empire, ce n’est pas nécessairement
l’occupation armée d’un certain nombre de pays conquis. C‘est avant tout une
structure de domination plus ou moins étendue qui profite directement et
indirectement au pays qui en est à l’origine. Dans le cas qui nous intéresse, le
centre de l’empire est clairement les États-Unis quoique quelquefois on puisse y
mettre aussi l’Angleterre. C’est aussi une structure qui vise à désamorcer
l’émergence de tout pays qui pourrait, même de loin, faire concurrence au centre
de l’empire. Là encore, pour se convaincre de la véracité de ce qui est avancé
dans cet article, il suffit de lire un certain nombre d’ouvrages dont “Le grand
échiquier” de Brzezinski ou bien encore le “Project for a new American century”.
Tout cela est disponible noir-sur-blanc au commun des mortels qui bénéficie d’un
accès Internet et qui peut consacrer une centaine d’euros à l’achat de quelques
ouvrages clés.
L’intérêt du livre d’Eudes, c’est qu’il met l’accent sur un aspect fréquemment
négligé de la construction de l’empire. On évoque souvent l’aspect militaire de
cette conquête ainsi que son aspect économique en oubliant que, en Europe,
l’empire s’est construit grâce à une conquête culturelle et linguistique dès
1945. La France est un pays qui s’est historiquement toujours opposé aux empires
qui voulaient l’englober et c’est pour cela qu’elle a été une cible de choix
dans cette conquête impériale. La France est aussi le premier pays qui a fait
son unité politique en Europe, avant l’Espagne occupée par les Arabes, avant
l’Angleterre envahie en 1066 par les Normands. La France a eu aussi un empire et
c’est un pays qui a produit dans le domaine intellectuel et celui des idées
nouvelles dans une proportion bien supérieure à ce représentait sa population à
l’échelle mondiale. Pour asseoir un empire, il fallait non pas abattre la France
mais la priver de son influence en la banalisant, en infléchissant sa production
intellectuelle. L’empire a également balayé les forces qui lui étaient hostiles
dans les divers pays d’Europe occidentale par divers moyens et en ayant
quelquefois recours au crime ; crimes perpétrés par des organisations dites
“terroristes” financées en sous-main par les Etats-Unis et quelquefois aussi
l’Angleterre. A ce titre, le lecteur pourra s’en informer en détail en lisant
“La terreur fabriquée” du journaliste d’investigation américain Webster Tarpley.
En France, comme ailleurs, la conquête linguistique est allée de pair avec la
conquête culturelle.On n’insiste jamais assez sur ce point. Il fallait, par
divers moyens, absolument répandre l’usage de l’anglais mais aussi de le
substituer à d’autres langues vivantes que l’on apprenait autrefois dans les
lycées. Il y a une trentaine d’années, il y avait encore une forte demande pour
l’allemand, l’espagnol, l’italien et même le russe. Or, aujourd’hui, cette
demande est presque insignifiante. La substitution a été presque totale. Il n’y
a plus de concurrent. On pourra objecter que l’étude du chinois et du japonais
est en train d’émerger mais il est nécessaire de relativiser la connaissance de
ces deux langues du fait qu’elles appartiennent à des familles linguistiques
totalement différentes entraînant des difficultés importantes d’apprentissage
qu’elles soulèvent quand on les compare aux langues indo-européennes.
Pourquoi l’anglais ? Quel intérêt pour l’empire que sa langue soit parlée ? Yves
Eudes l’explique facilement :
« Les États-Unis savent pertinemment que toute conquête durable suppose à terme
l’obtention de l’allégeance spontanée des populations ciblées ou, au moins, de
ses élites locales. Le meilleur moyen d’y parvenir a toujours été l’intégration,
l’assimilation, c’est-à-dire le transfert des valeurs, des principes, des modes
de vie et des formes d’expression des nouveaux maîtres vers les nouveaux sujets.
Même si elle n’est pas acquise dès la naissance, l’appartenance au groupe fondée
sur la pratique d’une culture et d’une langue communes fait naître des liens
intimes, irrationnels, intériorisés et infiniment plus fiables à long terme que
la coopération fondée sur les seuls intérêts économiques ou sur l’acceptation
rationnelle de principes explicites de fonctionnement. »
Parallèlement, l’empire a noyauté les systèmes d’information. On a acheté les
journalistes. On a fait la promotion de prétendus intellectuels qui, comme par
hasard, faisaient la promotion des Etats-Unis, de l’atlantisme et qui
valorisaient fortement la connaissance de l’anglais. Chose également importante,
les États-Unis ont été les premiers à supprimer les examens vérifiant les
connaissances étrangères de leurs futurs chercheurs. Ainsi, les chercheurs
américains allant aux conférences internationales ont forcé petit à petit les
chercheurs non anglophones à l’origine à s’exprimer exclusivement en
anglo-américain.Les représentants anglo-saxons de toutes les organisations
internationales ont également imposé l’usage de l’anglais dans les deux sens de
la communication orale et écrite, forçant ainsi petit à petit les représentants
de tous les autres pays à acquérir cette langue et à en faire usage aux dépens
de la leur. Aujourd’hui, la tolérance ne consiste plus à accepter dans un
congrès international qu’on s’y exprime dans une autre langue que l’anglais,
même sporadiquement mais, au contraire, d’accepter que toutes les langues autres
que l’anglais en soient totalement exclues. La dévalorisation des revues
rédigées dans d’autres langues que l’anglais est totale. Comme l’a déclaré
Eugène Garfield, qui a créé le système de citations étasunien, « ce qui n’est
pas rédigé en anglais ne vaut pas la peine d’être lu ! ».
Petit à petit, les médias ont distillé de plus en plus d’informations émanant
des agences de presse anglo-américaines et on a fait l’apologie du monde
anglo-saxon et surtout des États-Unis qui sont ainsi devenus des champions
imaginaires dans tous les domaines : sciences, techniques, économie, sports…
L’examen des documents d’archives du gouvernement américain qui ont été rendues
publiques récemment a prouvé que les États-Unis ont financé et ont favorisé
l’émergence de la construction européenne en achetant un certain nombre de
personnalités locales qui ont été ainsi chargées d’en faire la promotion dans
les divers pays de l’UE. Plus tard, ils ont favorisé l’arrivée de hauts
fonctionnaires à la Commission qui ont souvent effectué de longs séjours aux
États-Unis et dont les intérêts ont partie liée avec ce pays. François
Asselineau a bien décortiqué ces mécanismes. Il a montré qu’un nombre important
de hauts responsables à la Commission favorisent systématiquement les intérêts
Étasuniens au détriment bien sûr des membres de l’UE. Bernard Lecherbonnier,
dans “Les lobbies à l’assaut de l’Europe” dénonce aussi le « groupe kangourou »
au parlement européen qui, au-delà des clivages politiques officiels entre ses
membres, vote systématiquement dans le sens des intérêts anglo-saxons quand le
mot d’ordre est donné. Dans la plupart des pays ouest-européens, l’empire a
favorisé l’arrivée au pouvoir de présidents, de ministres et de hauts
fonctionnaires qui font la promotion ouverte de l’usage de l’anglais et qui
veulent l’imposer par delà les éventuelles résistances rencontrées. C’est ainsi
que Xavier Darcos voulait faire de chaque élève de lycée un « bilingue »
(comprendre ici un bilingue français-anglais, ce qui est d’autant plus curieux
que Darcos a été secrétaire d’Etat à la Francophonie). Valérie Pécresse, quant à
elle, essaye d’imposer l’anglais comme langue d’enseignement à l’université, au
niveau des études supérieures. Notre président Sarkozy a fait quelques brillants
discours en faveur de la langue française mais, dans les faits, il a poussé la
ratification du protocole de Londres sur les brevets d’invention sitôt arrivé au
pouvoir, et ce protocole de Londres donne maintenant force de loi en France à
des textes rédigés en langues étrangères, l’anglais et l’allemand en
l’occurrence !
Sur le plan linguistique, on a fait la promotion de l’anglais en déclarant
l’anglais seule langue internationale qui, selon ses promoteurs, serait ainsi le
sésame-ouvre-toi universel partout sur la planète. Aujourd’hui, si l’on remplit
une demande pour des fonds européens pour faire de la recherche, on ne peut le
faire qu’en anglais. Même chose en France même avec l’ANR (l’Agence nationale de
la recherche). Un étudiant ingénieur ne peut plus obtenir son diplôme s’il a des
notes insuffisantes en anglais, même s’il n’a aucune intention de voyager à
l’étranger dans son cadre professionnel, même s’il n’a aucune intention d’avoir
une interface avec des succursales ou des clients étrangers. L’anglais, de
manière tout à fait artificielle, est devenu un critère quasiment incontournable
des recrutements. En France même, il arrive que des réunions de travail ou des
conseils d’administration soient tenus en anglais alors que tous ceux qui y
assistent sont des francophones.
Du côté des médias, télévisions, radios et magazines s’efforcent d’introduire
des quantités de mots anglais non traduits. Cet apport ne reflète en rien la
volonté du peuple. Il s’agit au contraire d’un effort concerté pour délibérément
miter la langue française de mots anglais, comme cela se faisait dans les années
70 avec le russe dans les divers pays non russophones de l’Union soviétique. Le
socio-linguiste Louis-Jean Calvet notait dans ce processus des étapes très
semblables à ce que l’on voit aujourd’hui en Europe occidentale avec l’anglais :
« Une politique pour la promotion du russe fut appliquée jadis dans les
anciennes républiques annexées à l’Union soviétique et, dans une moindre mesure,
à ses satellites. Une absence de politique linguistique dans les républiques non
russophones entraînait des emprunts lexicaux massifs à la langue russe, plus
particulièrement dans les domaines scientifiques et techniques. Ainsi, très
vite, les langues locales furent confinées dans les fonctions grégaires et le
russe fut réservé aux fonctions véhiculaires, officielles, scientifiques. En
1975, on proposa, lors d’une conférence tenue à Tachkent, d’enseigner le russe
partout dès le jardin d’enfants puis, en 1979, lors d’une nouvelle conférence à
Tachkent, sous le titre “Langue russe, langue d’amitié et de coopération des
peuples de l’Union soviétique”, on suggéra d’obliger les étudiants à rédiger
leurs mémoires en russe. Il s’ensuivit des manifestations à Tbilissi (Géorgie),
Tallin (Estonie), et des troubles dans les autres républiques baltes, des
pétitions d’intellectuels géorgiens, etc. Certains locuteurs prirent conscience
que leur langue se fondait lentement dans le russe. Il y eut donc un phénomène
d’assimilation accélérée des langues de l’URSS par le russe qui ne doit rien au
matérialisme dialectique mais tout aux rapports de force et à la politique
linguistique de la Russie vis-à-vis de ses satellites. »
De plus, la plupart des éditeurs de dictionnaires, qui se veulent prétendument
modernes, rajoutent très rapidement ces nouveaux mots aux dictionnaires comme
s’il s’agissait d’un phénomène normal, d’une évolution naturelle.
A Bruxelles, le phénomène d’anglicisation a été mené essentiellement par la
Grande-Bretagne et les hauts fonctionnaires valets des Etats-Unis en tacite
complicité avec les gouvernements des pays membres de l’UE. Anna-Maria
Campogrande qui a été fonctionnaire internationale à la Commission a bien décrit
l’action de gens comme Chris Patten ou Neil Kinnock. Ce dernier est d’ailleurs
devenu président du British Council par la suite. On se demande pourquoi un
certain nombre de pays de l’UE envoient à Bruxelles des gens parlant anglais
plutôt que d’autres langues mais ce n’est pas étonnant quand on sait que
beaucoup de pays candidats, particulièrement en Europe centrale, n’ont eu aucun
autre choix que de discuter de leur projet d’adhésion à l’UE en anglais. Avec la
complicité tacite de pays comme la France, l’Allemagne et l’Italie, l’anglais
est devenu langue de rédaction majoritaire des textes originaux par des natifs
non-anglophones en majorité, altérant et déformant ainsi la pensée de ces
derniers.
Il faut aussi mentionner l’influence linguistique d’organismes tels que le FMI
ou la banque mondiale qui ont exigé souvent des pays emprunteurs de favoriser
l’apprentissage de l’anglais en contrepartie de l’octroi des prêts demandés.
C’est ainsi qu’au Vietnam, le FMI a évacué l’influence du russe et du chinois au
profit de l’anglais dès la chute de l’Union soviétique. On se dit : « Tiens, les
Vietnamiens se sont mis eux aussi à l’anglais ! » comme si cela était le fruit
du hasard ou le fruit du choix délibéré de la part des Vietnamiens. Or, il n’en
est rien.
La volonté de déplacer des langues enracinées depuis longtemps, comme c’était le
cas au Cambodge ou au Ruanda avec le français, s’est même traduite par des
massacres. C’est tout au moins ce qu’affirme Daniele Ganser, un historien suisse
qui explique par exemple que les massacres perpétrés par les Khmers rouges au
Cambodge furent suggérés et encadrés par des réseaux créés et financés par les
anglo-saxons. Ces massacres ciblèrent essentiellement les intellectuels, tous
ayant une parfaite connaissance du français à l’époque. Il s’est produit la même
chose au Ruanda comme nous l’explique l’historien Bernard Lugan. Au sud-Vietnam,
l’arrivée des Américains au début des années 60 a été le point de départ de
l’éradication du français. Les Américains ont payé les directeurs de
bibliothèques pour remplacer massivement les livres français qui s’y trouvaient
pas des livres étasuniens. Le résultat ? Il reste moins de francophones
aujourd’hui au Vietnam qu’il n’en existe en Grande-Bretagne en dépit du fait que
le Vietnam soit membre officiel de l’organisation internationale de la
Francophonie !
Sur le plan culturel, l’offensive s’est déroulée sur le terrain de
l’audio-visuel et des livres. On se souvient qu’après la seconde guerre
mondiale, les Américains avaient imposé les accords Blum-Byrnes en échange de
l’annulation d’une partie de la dette française, accord qui définissait un quota
d’importation minimal de films étasuniens en France qui avait été fixé à 40%.
Aujourd’hui, on sait que les États-Unis ont investi massivement tout le système
de diffusion des œuvres cinématographiques à l’échelle mondiale, imposant ainsi
de fait leurs productions dans une partie du reste du monde. On sait aussi
qu’ils assurent la diffusion des œuvres de leurs auteurs par une publicité
constante, agressive et massive tout comme est commercialisé Coca-Cola,
surreprésenté dans les supermarchés par la publicité payée indirectement par ses
propres consommateurs, qui financent ainsi leur assuétude au produit.
Le résultat de cette action, déployée sur un très large spectre d’interventions,
a été la substitution massive de l’influence des intellectuels locaux par des
doctrines américaines destinées à la périphérie de l’empire. Il faut répandre
l’idéologie qui doit guider les masses de la périphérie : Libres marchés
dérèglementés à la périphérie de l’empire uniquement, connaissance de l’anglais
“colonial” obligatoire et, ici, une parenthèse est à faire. En effet, ce qui est
recherché, ce n’est pas de faire des Français des Américains, c’est de rendre
suffisante la connaissance de la langue des maîtres pour qu’elle puisse être
comprise par les vassaux des États-Unis et du monde anglo-saxon, pour les mettre
en position d’infériorité structurelle et qu’ils puissent interpréter les
messages du centre de l’empire comme étant de qualité supérieure par rapport à
ceux qui proviennent du reste du monde. Il faut créer et maintenir toute
confiance dans l’économie américaine pour y investir ou acheter des bons du
trésor, confiance dans les agences de notation américaines alors que, dans les
faits, il ne s’agit que de relais de la politique étasunienne pour manipuler les
perceptions au profit des États-Unis comme on a pu le voir dans la crise grecque
et, auparavant, sur la scène bancaire étasunienne, lorsque des établissements
étaient encore notés AAA trois jours avant leur mise en faillite !
Cependant, ce ne sont pas que des bénéfices à court terme qui sont recherchés.
C’est aussi le fléchissement de la production intellectuelle des pays vassaux
pour qu’ils ne viennent jamais concurrencer de manière sérieuse le centre de
l’empire dans ses prérogatives. La encore, il suffit de prendre connaissance des
objectifs généraux dans un rapport comme le “Project for a new American
Century”, dont le contenu est public et dont la genèse ne relève en rien du
complot. Cet infléchissement de la production intellectuelle est accompli de
deux manières. La première, en favorisant la création de structures
contraignantes pour la production intellectuelle dans les pays vassaux. La
deuxième, en diminuant les potentiels individuels et en décourageant les
vocations ailleurs que dans les pays anglo-saxons.
Dans le premier cas, on crée ou on suscite la création de structures
contraignantes. Par exemple, la recherche scientifique ne se fait plus que sur
des thèmes à la mode et agréés par des instances extérieures aux laboratoires
qui décident de plus de l’octroi des fonds de recherche. Elle doit faire l’objet
de publications dans un anglais mal maîtrisé et dans un système qui est
totalement sous la houlette des anglo-saxons. Le chercheur sera également soumis
au système des citations qui est, lui aussi, totalement encadré par les
anglo-saxons. De plus, la recherche est de plus en plus une recherche appliquée
étroitement subordonnée aux besoins économiques perçus.
Dans le deuxième cas, on s’efforce de diminuer les potentiels individuels qui
peuvent être réduits de diverses manières. Il est inutile de revenir ici sur
l’affaiblissement des formations scolaires qui, en France, a fait l’objet de
nombreux ouvrages. Les visées impériales rejoignent ainsi les objectifs de
l’oligarchie locale qui cherche à consolider ses positions aux dépens du
bien-être des citoyens et du progrès tout court. Parallèlement, on fait la
publicité d’intellectuels moyens ou médiocres et on essaye d’inverser les
valeurs : sportifs recevant des rémunérations royales pour des activités
infantiles, acteurs moyens recevant des cachets correspondants à plus que ce que
gagne le salarié moyen en une vie, etc.
Les conséquences
Les conséquences de ces attaques sont prodigieuses. Elles sont d’ordre
linguistique, culturel et elles portent également atteinte à notre productivité
et au prestige international dont notre pays a bénéficié dans les cinq derniers
siècles. On est tout d’abord perdant dans la guerre de représentation que nous
livre le monde anglo-saxon. Représenter, c’est rendre présent. Le manque de
représentation rend absent à son propre environnement, à soi-même. La guerre de
représentation est une guerre où la maîtrise et le trucage de l’information
jouent les premiers rôles. Ainsi, les actions décrites précédemment occultent
nos contributions, notre art, notre science. Un cerveau occupé par quelqu’un
d’autre se détourne automatiquement de ses propres productions culturelles et
intellectuelles ainsi que celles des autres pays, non anglophones en
l’occurrence. Dans le cadre de la perte de mémoire collective et de l’altération
des perceptions, on peut observer, par exemple, que :
Les Français ont oublié que le premier vol motorisé était français, celui de
Clément Ader en 1890.
Les Allemands ont oublié que l’invention de l’ordinateur a été le fait d’un de
leurs compatriotes, Conrad Zuse.
Le monde a oublié que Charles Darwin s’est largement inspiré de Lamarck, Vanini,
Maillet et Diderot.
Le monde a oublié que le premier micro-ordinateur était français ce que l’on
redécouvre au musée de l’informatique de Boston.
Le monde informatique ne sait pas que les algorithmes de reconnaissance de
l’écriture manuscrite utilisés par la firme Apple sont d’origine russe.
Le monde ne sait pas que c’est grâce au travail des Français Meyer, Morlet et
Grossmann qu’on a pu mettre dans les mains du grand public la vidéo numérique.
Le monde ne sait pas qu’Internet est un projet américain qui a consisté à
améliorer le projet français Cyclades.
Le monde attribue de manière erronée la découverte de la pénicilline à Fleming
alors que la paternité de cette découverte revient à Ernest Duchesne en 1897.
Le monde ne sait pas que la découverte de l’Helicobacter Pylori est d’origine
cubaine alors que c’est un chercheur australien qui a reçu le prix Nobel pour
cela.
Le monde n’a toujours pas pris conscience de la fausseté des informations
distillées par les agences de cotation boursière américaines qui certifiaient en
2007 la solidité de certains établissements bancaires qui faisaient faillite
trois jours après.
Le monde ne sait pas que l’ambiguïté de la langue anglaise a été la cause de
nombreux accidents d’avion (Exemple d’instruction ambigüe ayant été la cause
d’un accident : « Turn left right now ! »).
Le monde ne sait pas que la prétendue prédominance américaine ne vient pas d’une
supériorité créative, d’une supériorité d’invention, mais du succès de la
diffusion de son idéologie et de sa langue qui ont induit un complexe
d’infériorité qui, depuis la seconde guerre mondiale, règne en France sans
partage dans le monde des affaires, chez les fonctionnaires et dans l’opinion
publique.
Les Français ne savent pas que le drame des irradiés d’Epinal a eu pour cause
l’absence de traduction des modes d’emploi (rédigés en anglais) utilisés par les
techniciens.
Les Français ne sont pas conscients que, en France, au sein de certaines
compagnies françaises, les syndicats doivent combattre la politique du tout
anglais imposée par leur direction, alors que le personnel n’a aucun contact
avec des étrangers
Le monde non américain ne semble pas être conscient qu’il paye pour presque
toutes les guerres américaines du moment grâce au statut du dollar qui ne vaut
plus rien mais qui est accepté par tous, puisque les États-Unis réussissent
encore à imposer le dollar pour les achats de pétrole au reste de la planète
Le monde ne semble pas se rendre compte que la crise financière actuelle est dû
au fait que le monde dit développé a copié les méthodes américaines de gestion
financière et adopté un modèle qui est erroné dès le départ.
Les ponctions financières directes
En ce qui concerne la ponction financière relative à la colonisation
linguistique, François Grin, spécialiste en économie des langues à l’université
de Genève, estime à 15 milliards d’euros le revenu global que la Grande-Bretagne
tire de l’enseignement de sa langue sur le continent européen. Si l’on tient
compte d’un coût de travail horaire moyen de 21,2 euros pour l’Europe
occidentale, l’enseignement des langues en Europe continentale, quand il se
substitue au travail (cours en entreprise), est équivalent à une perte sèche de
210 milliards d’euros, soit plus de 3 fois le coût de l’enseignement lui-même et
nous savons que l’essentiel de cet enseignement est, actuellement, celui de
l’anglais.
A la Commission européenne, si l’on considère que, globalement, la communication
se fait à 50% en anglais alors que le poids de la Grande-Bretagne n’est que de
13% et que le coût global de traduction et d’interprétation est de 2,76
milliards d’euros, l’usage déséquilibré de l’anglais coute ainsi 2 milliards de
trop à l’ensemble des pays membres !
La France n’est pas consciente de l’infléchissement considérable de sa
production intellectuelle, monopolisée actuellement par les agents de l’empire
prescripteurs d’opinion, de sa production scientifique qui reste actuellement
sagement dans le sillon de la science anglo-saxonne, de sa production culturelle
qui n’a plus grand intérêt dans la mesure où elle suit d’autres modèles. Voici
ce qu’en disait un dirigeant politique de la région des Balkans, dont je ne
citerai pas le nom mais qu’on a noirci à plaisir du fait qu’il s’opposait à
l’empire :
« La diminution du sens critique anesthésie la société au point qu’elle ne peut
plus se rendre compte de l’attaque identitaire dont elle est victime par le
biais de la langue, ainsi que par d’autres moyens. En fait, le manque de
réaction actuel est simplement caractéristique d’une société qui ne sait plus
envisager son propre avenir, autrement que sur le très court-terme. Il est
impossible de dissocier le phénomène linguistique de ses contextes économique et
politique. L’affaiblissement ou la perte des identités nationales qui en résulte
est l’une des pires choses qui puissent arriver à un peuple. Quand cela se
produit, très vite, les citoyens se séparent de leur histoire, de leur passé,
tandis qu’ils glorifient celui d’autres pays. Ils abandonnent leurs traditions,
leur manière de vivre. Ils oublient rapidement leur langue littéraire et
minimisent l’importance de leurs propres réalisations, de leur littérature
nationale quand ils ne l’ironisent pas comme « nostalgie du passé ». L’identité
nationale se réduit ainsi rapidement à quelques plats locaux, quelques chansons
et danses folkloriques et les noms de quelques héros nationaux sont alors
utilisés comme marques de cosmétiques ou de produits alimentaires tandis que
l’on décore les acteurs, les écrivains ou même les historiens de la puissance
dominante. Il s’agit d’une forme moderne de colonisation qui efface la mémoire
collective des peuples et, bien entendu, favorise la progression de la langue de
la puissance occupante - par procuration le plus souvent - ainsi que la place
occupée par ses “œuvres culturelles”, qui occultent rapidement les productions
locales. Parler la langue maternelle dans les occasions officielles devient un
signe d’infériorité, de faiblesse et même de mesquinerie et d’ignorance ; alors
qu’utiliser la langue dominante souligne l’opulence, la modernité du discours,
la supériorité intellectuelle de celui qui prend la parole. Quant aux leviers de
commande du pays, ils passent rapidement dans des mains étrangères par le biais
de collaborateurs convaincus et zélés qui prêchent la tolérance, la coopération
avec les autres peuples, “l’ouverture” au monde extérieur et qui vantent les
mérites de la mondialisation. La possibilité de libre parole est restreinte ou,
tout au moins, occultée par le terrorisme intellectuel, c’est-à-dire le
“politiquement correct”, et la censure par omission médiatique. La créativité
s’amenuise… Ce qu’il en reste, généralement, ne s’applique plus qu’au secteur
technique selon des lignes d’évolution imitées ou définies ailleurs. Cette fuite
dans la médiocrité s’accompagne de grands discours creux sur le “progrès”,
défini d’après le modèle mis en place par la puissance néo colonisatrice et
l’idéologie qu’elle diffuse, et qui font un usage immodéré des termes et des
stéréotypies qui l’accompagnent… »
Comme pour la plupart des pays d’Europe occidentale, l’impact sur la France de
la colonisation mentale qu’elle subit affecte directement et énormément le
prestige international dont elle a bénéficié dans les cinq derniers siècles.
L’étranger qui se rend en France, quand il n’est pas réfugié économique,
remarque tout de suite le fait que la France est un protectorat américain. Il
voit tout de suite que son système universitaire n’a de cesse d’imiter le modèle
américain et qu’il en est de même du système financier. Il voit l’omniprésence
des films américains et des séries américaines à la télévision. Il voit qu’une
publicité directe et indirecte est constamment faite à propos des États-Unis. En
conséquence, les universités d’Europe continentale ne peuvent plus attirer les
meilleurs des étudiants étrangers. On vient étudier en France parce que les
études universitaires demeurent pratiquement gratuites et que les étudiants
étrangers peuvent toucher l’aide au logement de la caisse d’allocations
familiales dès leur arrivée. Les instituts d’enseignement dont nous disposons à
l’étranger ou celles qui sont sous l’égide de la francophonie institutionnelle,
subissent la même désaffection sauf, semble-t-il, dans le cas de la Sorbonne à
Abou Dhabi car les jeunes étudiants arabes sont de moins en moins les bienvenus
aux États-Unis.
En conclusion
Comme Marc Favre d’Echallens l’écrivait récemment dans Marianne, le capitalisme
financier actuel ravageur avec ses dérives frauduleuses “madoffiennes”, en passe
aujourd’hui d’imploser, est aussi le produit de l’anglophonisation de nos élites
qui ont suivi les mêmes cursus universitaires, qui sortent des mêmes écoles.
Ecoles qui imposent des filières en anglais, collaborent avec zèle avec des
universités américaines et qui sont classées et notées par des revues, journaux
ou instituts anglo-saxons qui jouent le rôle, mutatis mutandis, des agences de
notation financière (cf. le classement du “Financial Times” des Masters en
management).
Là aussi, le tout à l’anglais – le tout en anglais a pour résultat cette pensée
unique qui a contribué aux crises bancaire, financière, monétaire et idéologique
actuelles par panurgisme idéologique et linguistique ; aucune pensée
indépendante, aucune approche économique novatrice. Bien au contraire, en une
génération, la quasi-certitude d’un progrès s’est peu à peu effacée devant
l’évidence d’une formidable régression sociale, écologique, morale et politique.
Car la diversité linguistique, c’est aussi la diversité des pensées et des
visions du monde. Tout ce qui n’est pas en anglais est déprécié. L’aliénation
linguistique et l’humiliation culturelle ont toujours comme effet
l’assujettissement économique et le déclassement social.
La crise financière et maintenant économique montre en pleine lumière
l’indécence de nos “élites” à vouloir nous imposer le modèle économique mis en
place à la fin du 20e siècle dans les pays anglo-saxons, modèle qui est le
meilleur des systèmes comme le Titanic était le meilleur des paquebots en 1912…
Note : “Une colonie ordinaire du XXIe siècle” de Charles Xavier Durand (275
pages), publié par “E.M.E. société” en 2010, est disponible sur la plupart des
librairies en ligne. ISBN : 978-2-87525-048-3,
vendredi 3 septembre 2010, par Comité Valmy
Frédéric Martelest l’auteur de “Mainstream, Enquête sur cette culture qui plaît
à tout le monde” (Flammarion, 2010) dans lequel il se livre à l’apologie du
système culturel étasunien. Il conseille vivement à ses compatriotes « de parler
English pour exister » (sic). Tout le monde a bien sûr le droit d’exprimer ses
opinions mais quand on sait qu’il a été chef du bureau du livre à l’ambassade de
France en Roumanie de 1990 à 1992, chargé de mission au département des affaires
internationales du ministère de la Culture de 1992 à 1993 et encore attaché
culturel aux États-Unis de 2001 à 2005, donc payé pour faire rayonner la pensée
et la culture françaises et, en sous-jacent, également sa langue, on est en
droit de se poser des questions sur la pertinence de l’attribution des fonds
consacrés par le ministère des Affaires étrangères et par celui de la culture à
la promotion culturelle et linguistique de notre pays à l’étranger. Egalement,
on peut s’interroger sur les choix faits par les hauts fonctionnaires pour
assurer cette mission. Cependant, en dépit de ses déclarations d’amour pour la
culture étasunienne, Frédéric Martel affiche de manière tout à fait
contradictoire la volonté de rester accroché aux basques de notre république
vieillotte et poussiéreuse puisqu’il enseigne à Sciences-Po et à HEC et qu’il
occupe également un poste de chercheur à l’Institut national de l’audiovisuel.
Les médias n’hésitent pas à lui donner pignon sur rue et il dispose d’ailleurs
de sa propre émission intitulée “Masse critique” sur France culture !!
Suite à la publication de son livre, on a pu trouver sur Internet les
transcriptions des principaux entretiens qu’il a tenus avec les médias et qui
révèlent ses opinions quelque peu ambigües et contradictoires. Il affirme d’une
part que notre pays possède des industries culturelles très fortes, notamment
dans le secteur du jeu vidéo avec Ubisoft et Activision ! La nouvelle est de
taille ! Même s’ils sont conçus par des cerveaux français, comment des jeux tels
que “The sunken dragon”, “Roller Coaster” ou encore “Batman Vengeance”
peuvent-ils être représentatifs d’une culture prétendument “française” ?
Ensuite, il ose prétendre que la culture européenne n’existe pas aux États-Unis
alors que, par exemple, les orchestres symphoniques de ce pays jouent presque
exclusivement de la musique composée par des Européens et qu’il en est de même
en Russie, en Amérique latine et aussi, dans une moindre mesure, au Japon et en
Chine…
Il est clair que Frédéric Martel est un bel exemple du type d’individu qui ne va
pas au-delà des apparences et pour qui la culture se résume à la production
hollywoodienne au cinéma et à la télévision, à ce qu’elle a de plus clinquant et
de plus superficiel. Il ne se rend pas compte que, dans quelques années, on ne
parlera plus d’Avatar, d’Harry Potter ou de Terminator mais que, par contre, on
continuera à jouer Wagner ou Berlioz en Amérique du Nord tandis que les
étudiants en français de par le monde se pencheront encore sur les œuvres de
Victor Hugo et que les étudiants en philosophie étasuniens étudieront encore
Sartre, Barthes et Dérida…
Frédéric Martel ne semble pas être conscient du caractère très éphémère de la
prétendue culture étasunienne et il n’arrive même pas à voir que cette culture
de pacotille n’est diffusée que parce que les Étasuniens ont mis la main sur
tous les circuits de diffusion par des moyens éminemment coercitifs.Pour la
France, on peut citer par exemple les accords Blum-Byrnes de 1946 qui imposaient
des quotas minimum d’importation de films étasuniens pour un public qui, à
l’origine, n’en voulait pas.
Sans le savoir, M. Martel sert de caisse de résonance à la publicité tapageuse
que les États-Unis font pour leurs films et toute leur production prétendument
“culturelle”. Il fait partie de ces imbéciles utiles sur lesquels les médias
braquent le projecteur précisément parce qu’il fait la publicité des États-Unis
et que ces médias ont été noyautés pour assurer cette fonction.
Le cas de Martel est intéressant car il est l’exemple idéal de ce que l’on peut
appeler le “colonisé mental”, c’est-à-dire que, selon l’étymologie du verbe
“coloniser”, l’esprit de Martel est occupé, ce qui entraîne chez lui une
modification de la pensée et du comportement. Martel est l’exemple parfait du
produit de la conquête des esprits mise en place par les Étasuniens, dès la fin
de la seconde guerre mondiale et qui a été pour la première fois décrite par le
journaliste Yves Eudes en 1982 dans son livre précisément intitulé “La conquête
des esprits”. Ce livre avait été précédé de “La France colonisée” de Jacques
Thibau, paru en 1980, qui a beaucoup moins d’intérêt car il décrit les symptômes
de ce phénomène sans en dévoiler les causes profondes.
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que depuis la fin de la première guerre
mondiale, les Étasuniens nourrissaient un projet d’hégémonie planétaire et que
l’issue de la seconde guerre mondiale leur a permis de le mettre en œuvre, comme
l’a bien expliqué Jacques Pauwels dans son livre “Le mythe de la bonne guerre”.
C’est d’ailleurs davantage à des sources anglo-saxonnes qu’il faut s’abreuver
pour s’informer le mieux sur le projet impérial étasunien. Des sources telles
que Webster Tarpley, William Engdahl, James Petras, Robert Phillipson, Noam
Chomsky expliquent parfaitement ce processus. Le livre d’Yves Eudes dévoile la
fantastique machine de guerre culturelle et linguistique mise en place par les
États-Unis dès 1945. Il est à mettre en parallèle avec celui de l’Anglaise
Frances Stonor Saunders qui décrit les mécanismes mis en place par la CIA dans
son livre intitulé “Comment l’ouest fut conquis”. Ce dont il faut se rendre
compte, c’est que ce type de livre ne reçoit en Europe aucune couverture
médiatique importante. De même, la notion d’empire américain est virtuellement
inconnue en Europe alors que ce terme est d’usage courant chez les auteurs
anglo-saxons et que d’anciens hauts responsables politiques américains comme
Zbigniew Brzeziński ou Henry Kissinger l’utilisent couramment.
“La conquête des esprits” est un ouvrage capital et l’un des rares qui a décrit
les mécanismes qui ont permis à l’empire étasunien de s’étendre sur l’Europe
ainsi que d’autres pays. Toutefois, avant d’aller plus loin, il est nécessaire
d’en clarifier la signification. Un empire, ce n’est pas nécessairement
l’occupation armée d’un certain nombre de pays conquis. C‘est avant tout une
structure de domination plus ou moins étendue qui profite directement et
indirectement au pays qui en est à l’origine. Dans le cas qui nous intéresse, le
centre de l’empire est clairement les États-Unis quoique quelquefois on puisse y
mettre aussi l’Angleterre. C’est aussi une structure qui vise à désamorcer
l’émergence de tout pays qui pourrait, même de loin, faire concurrence au centre
de l’empire. Là encore, pour se convaincre de la véracité de ce qui est avancé
dans cet article, il suffit de lire un certain nombre d’ouvrages dont “Le grand
échiquier” de Brzezinski ou bien encore le “Project for a new American century”.
Tout cela est disponible noir-sur-blanc au commun des mortels qui bénéficie d’un
accès Internet et qui peut consacrer une centaine d’euros à l’achat de quelques
ouvrages clés.
L’intérêt du livre d’Eudes, c’est qu’il met l’accent sur un aspect fréquemment
négligé de la construction de l’empire. On évoque souvent l’aspect militaire de
cette conquête ainsi que son aspect économique en oubliant que, en Europe,
l’empire s’est construit grâce à une conquête culturelle et linguistique dès
1945. La France est un pays qui s’est historiquement toujours opposé aux empires
qui voulaient l’englober et c’est pour cela qu’elle a été une cible de choix
dans cette conquête impériale. La France est aussi le premier pays qui a fait
son unité politique en Europe, avant l’Espagne occupée par les Arabes, avant
l’Angleterre envahie en 1066 par les Normands. La France a eu aussi un empire et
c’est un pays qui a produit dans le domaine intellectuel et celui des idées
nouvelles dans une proportion bien supérieure à ce représentait sa population à
l’échelle mondiale. Pour asseoir un empire, il fallait non pas abattre la France
mais la priver de son influence en la banalisant, en infléchissant sa production
intellectuelle. L’empire a également balayé les forces qui lui étaient hostiles
dans les divers pays d’Europe occidentale par divers moyens et en ayant
quelquefois recours au crime ; crimes perpétrés par des organisations dites
“terroristes” financées en sous-main par les Etats-Unis et quelquefois aussi
l’Angleterre. A ce titre, le lecteur pourra s’en informer en détail en lisant
“La terreur fabriquée” du journaliste d’investigation américain Webster Tarpley.
En France, comme ailleurs, la conquête linguistique est allée de pair avec la
conquête culturelle.On n’insiste jamais assez sur ce point. Il fallait, par
divers moyens, absolument répandre l’usage de l’anglais mais aussi de le
substituer à d’autres langues vivantes que l’on apprenait autrefois dans les
lycées. Il y a une trentaine d’années, il y avait encore une forte demande pour
l’allemand, l’espagnol, l’italien et même le russe. Or, aujourd’hui, cette
demande est presque insignifiante. La substitution a été presque totale. Il n’y
a plus de concurrent. On pourra objecter que l’étude du chinois et du japonais
est en train d’émerger mais il est nécessaire de relativiser la connaissance de
ces deux langues du fait qu’elles appartiennent à des familles linguistiques
totalement différentes entraînant des difficultés importantes d’apprentissage
qu’elles soulèvent quand on les compare aux langues indo-européennes.
Pourquoi l’anglais ? Quel intérêt pour l’empire que sa langue soit parlée ? Yves
Eudes l’explique facilement :
« Les États-Unis savent pertinemment que toute conquête durable suppose à terme
l’obtention de l’allégeance spontanée des populations ciblées ou, au moins, de
ses élites locales. Le meilleur moyen d’y parvenir a toujours été l’intégration,
l’assimilation, c’est-à-dire le transfert des valeurs, des principes, des modes
de vie et des formes d’expression des nouveaux maîtres vers les nouveaux sujets.
Même si elle n’est pas acquise dès la naissance, l’appartenance au groupe fondée
sur la pratique d’une culture et d’une langue communes fait naître des liens
intimes, irrationnels, intériorisés et infiniment plus fiables à long terme que
la coopération fondée sur les seuls intérêts économiques ou sur l’acceptation
rationnelle de principes explicites de fonctionnement. »
Parallèlement, l’empire a noyauté les systèmes d’information. On a acheté les
journalistes. On a fait la promotion de prétendus intellectuels qui, comme par
hasard, faisaient la promotion des Etats-Unis, de l’atlantisme et qui
valorisaient fortement la connaissance de l’anglais. Chose également importante,
les États-Unis ont été les premiers à supprimer les examens vérifiant les
connaissances étrangères de leurs futurs chercheurs. Ainsi, les chercheurs
américains allant aux conférences internationales ont forcé petit à petit les
chercheurs non anglophones à l’origine à s’exprimer exclusivement en
anglo-américain.Les représentants anglo-saxons de toutes les organisations
internationales ont également imposé l’usage de l’anglais dans les deux sens de
la communication orale et écrite, forçant ainsi petit à petit les représentants
de tous les autres pays à acquérir cette langue et à en faire usage aux dépens
de la leur. Aujourd’hui, la tolérance ne consiste plus à accepter dans un
congrès international qu’on s’y exprime dans une autre langue que l’anglais,
même sporadiquement mais, au contraire, d’accepter que toutes les langues autres
que l’anglais en soient totalement exclues. La dévalorisation des revues
rédigées dans d’autres langues que l’anglais est totale. Comme l’a déclaré
Eugène Garfield, qui a créé le système de citations étasunien, « ce qui n’est
pas rédigé en anglais ne vaut pas la peine d’être lu ! ».
Petit à petit, les médias ont distillé de plus en plus d’informations émanant
des agences de presse anglo-américaines et on a fait l’apologie du monde
anglo-saxon et surtout des États-Unis qui sont ainsi devenus des champions
imaginaires dans tous les domaines : sciences, techniques, économie, sports…
L’examen des documents d’archives du gouvernement américain qui ont été rendues
publiques récemment a prouvé que les États-Unis ont financé et ont favorisé
l’émergence de la construction européenne en achetant un certain nombre de
personnalités locales qui ont été ainsi chargées d’en faire la promotion dans
les divers pays de l’UE. Plus tard, ils ont favorisé l’arrivée de hauts
fonctionnaires à la Commission qui ont souvent effectué de longs séjours aux
États-Unis et dont les intérêts ont partie liée avec ce pays. François
Asselineau a bien décortiqué ces mécanismes. Il a montré qu’un nombre important
de hauts responsables à la Commission favorisent systématiquement les intérêts
Étasuniens au détriment bien sûr des membres de l’UE. Bernard Lecherbonnier,
dans “Les lobbies à l’assaut de l’Europe” dénonce aussi le « groupe kangourou »
au parlement européen qui, au-delà des clivages politiques officiels entre ses
membres, vote systématiquement dans le sens des intérêts anglo-saxons quand le
mot d’ordre est donné. Dans la plupart des pays ouest-européens, l’empire a
favorisé l’arrivée au pouvoir de présidents, de ministres et de hauts
fonctionnaires qui font la promotion ouverte de l’usage de l’anglais et qui
veulent l’imposer par delà les éventuelles résistances rencontrées. C’est ainsi
que Xavier Darcos voulait faire de chaque élève de lycée un « bilingue »
(comprendre ici un bilingue français-anglais, ce qui est d’autant plus curieux
que Darcos a été secrétaire d’Etat à la Francophonie). Valérie Pécresse, quant à
elle, essaye d’imposer l’anglais comme langue d’enseignement à l’université, au
niveau des études supérieures. Notre président Sarkozy a fait quelques brillants
discours en faveur de la langue française mais, dans les faits, il a poussé la
ratification du protocole de Londres sur les brevets d’invention sitôt arrivé au
pouvoir, et ce protocole de Londres donne maintenant force de loi en France à
des textes rédigés en langues étrangères, l’anglais et l’allemand en
l’occurrence !
Sur le plan linguistique, on a fait la promotion de l’anglais en déclarant
l’anglais seule langue internationale qui, selon ses promoteurs, serait ainsi le
sésame-ouvre-toi universel partout sur la planète. Aujourd’hui, si l’on remplit
une demande pour des fonds européens pour faire de la recherche, on ne peut le
faire qu’en anglais. Même chose en France même avec l’ANR (l’Agence nationale de
la recherche). Un étudiant ingénieur ne peut plus obtenir son diplôme s’il a des
notes insuffisantes en anglais, même s’il n’a aucune intention de voyager à
l’étranger dans son cadre professionnel, même s’il n’a aucune intention d’avoir
une interface avec des succursales ou des clients étrangers. L’anglais, de
manière tout à fait artificielle, est devenu un critère quasiment incontournable
des recrutements. En France même, il arrive que des réunions de travail ou des
conseils d’administration soient tenus en anglais alors que tous ceux qui y
assistent sont des francophones.
Du côté des médias, télévisions, radios et magazines s’efforcent d’introduire
des quantités de mots anglais non traduits. Cet apport ne reflète en rien la
volonté du peuple. Il s’agit au contraire d’un effort concerté pour délibérément
miter la langue française de mots anglais, comme cela se faisait dans les années
70 avec le russe dans les divers pays non russophones de l’Union soviétique. Le
socio-linguiste Louis-Jean Calvet notait dans ce processus des étapes très
semblables à ce que l’on voit aujourd’hui en Europe occidentale avec l’anglais :
« Une politique pour la promotion du russe fut appliquée jadis dans les
anciennes républiques annexées à l’Union soviétique et, dans une moindre mesure,
à ses satellites. Une absence de politique linguistique dans les républiques non
russophones entraînait des emprunts lexicaux massifs à la langue russe, plus
particulièrement dans les domaines scientifiques et techniques. Ainsi, très
vite, les langues locales furent confinées dans les fonctions grégaires et le
russe fut réservé aux fonctions véhiculaires, officielles, scientifiques. En
1975, on proposa, lors d’une conférence tenue à Tachkent, d’enseigner le russe
partout dès le jardin d’enfants puis, en 1979, lors d’une nouvelle conférence à
Tachkent, sous le titre “Langue russe, langue d’amitié et de coopération des
peuples de l’Union soviétique”, on suggéra d’obliger les étudiants à rédiger
leurs mémoires en russe. Il s’ensuivit des manifestations à Tbilissi (Géorgie),
Tallin (Estonie), et des troubles dans les autres républiques baltes, des
pétitions d’intellectuels géorgiens, etc. Certains locuteurs prirent conscience
que leur langue se fondait lentement dans le russe. Il y eut donc un phénomène
d’assimilation accélérée des langues de l’URSS par le russe qui ne doit rien au
matérialisme dialectique mais tout aux rapports de force et à la politique
linguistique de la Russie vis-à-vis de ses satellites. »
De plus, la plupart des éditeurs de dictionnaires, qui se veulent prétendument
modernes, rajoutent très rapidement ces nouveaux mots aux dictionnaires comme
s’il s’agissait d’un phénomène normal, d’une évolution naturelle.
A Bruxelles, le phénomène d’anglicisation a été mené essentiellement par la
Grande-Bretagne et les hauts fonctionnaires valets des Etats-Unis en tacite
complicité avec les gouvernements des pays membres de l’UE. Anna-Maria
Campogrande qui a été fonctionnaire internationale à la Commission a bien décrit
l’action de gens comme Chris Patten ou Neil Kinnock. Ce dernier est d’ailleurs
devenu président du British Council par la suite. On se demande pourquoi un
certain nombre de pays de l’UE envoient à Bruxelles des gens parlant anglais
plutôt que d’autres langues mais ce n’est pas étonnant quand on sait que
beaucoup de pays candidats, particulièrement en Europe centrale, n’ont eu aucun
autre choix que de discuter de leur projet d’adhésion à l’UE en anglais. Avec la
complicité tacite de pays comme la France, l’Allemagne et l’Italie, l’anglais
est devenu langue de rédaction majoritaire des textes originaux par des natifs
non-anglophones en majorité, altérant et déformant ainsi la pensée de ces
derniers.
Il faut aussi mentionner l’influence linguistique d’organismes tels que le FMI
ou la banque mondiale qui ont exigé souvent des pays emprunteurs de favoriser
l’apprentissage de l’anglais en contrepartie de l’octroi des prêts demandés.
C’est ainsi qu’au Vietnam, le FMI a évacué l’influence du russe et du chinois au
profit de l’anglais dès la chute de l’Union soviétique. On se dit : « Tiens, les
Vietnamiens se sont mis eux aussi à l’anglais ! » comme si cela était le fruit
du hasard ou le fruit du choix délibéré de la part des Vietnamiens. Or, il n’en
est rien.
La volonté de déplacer des langues enracinées depuis longtemps, comme c’était le
cas au Cambodge ou au Ruanda avec le français, s’est même traduite par des
massacres. C’est tout au moins ce qu’affirme Daniele Ganser, un historien suisse
qui explique par exemple que les massacres perpétrés par les Khmers rouges au
Cambodge furent suggérés et encadrés par des réseaux créés et financés par les
anglo-saxons. Ces massacres ciblèrent essentiellement les intellectuels, tous
ayant une parfaite connaissance du français à l’époque. Il s’est produit la même
chose au Ruanda comme nous l’explique l’historien Bernard Lugan. Au sud-Vietnam,
l’arrivée des Américains au début des années 60 a été le point de départ de
l’éradication du français. Les Américains ont payé les directeurs de
bibliothèques pour remplacer massivement les livres français qui s’y trouvaient
pas des livres étasuniens. Le résultat ? Il reste moins de francophones
aujourd’hui au Vietnam qu’il n’en existe en Grande-Bretagne en dépit du fait que
le Vietnam soit membre officiel de l’organisation internationale de la
Francophonie !
Sur le plan culturel, l’offensive s’est déroulée sur le terrain de
l’audio-visuel et des livres. On se souvient qu’après la seconde guerre
mondiale, les Américains avaient imposé les accords Blum-Byrnes en échange de
l’annulation d’une partie de la dette française, accord qui définissait un quota
d’importation minimal de films étasuniens en France qui avait été fixé à 40%.
Aujourd’hui, on sait que les États-Unis ont investi massivement tout le système
de diffusion des œuvres cinématographiques à l’échelle mondiale, imposant ainsi
de fait leurs productions dans une partie du reste du monde. On sait aussi
qu’ils assurent la diffusion des œuvres de leurs auteurs par une publicité
constante, agressive et massive tout comme est commercialisé Coca-Cola,
surreprésenté dans les supermarchés par la publicité payée indirectement par ses
propres consommateurs, qui financent ainsi leur assuétude au produit.
Le résultat de cette action, déployée sur un très large spectre d’interventions,
a été la substitution massive de l’influence des intellectuels locaux par des
doctrines américaines destinées à la périphérie de l’empire. Il faut répandre
l’idéologie qui doit guider les masses de la périphérie : Libres marchés
dérèglementés à la périphérie de l’empire uniquement, connaissance de l’anglais
“colonial” obligatoire et, ici, une parenthèse est à faire. En effet, ce qui est
recherché, ce n’est pas de faire des Français des Américains, c’est de rendre
suffisante la connaissance de la langue des maîtres pour qu’elle puisse être
comprise par les vassaux des États-Unis et du monde anglo-saxon, pour les mettre
en position d’infériorité structurelle et qu’ils puissent interpréter les
messages du centre de l’empire comme étant de qualité supérieure par rapport à
ceux qui proviennent du reste du monde. Il faut créer et maintenir toute
confiance dans l’économie américaine pour y investir ou acheter des bons du
trésor, confiance dans les agences de notation américaines alors que, dans les
faits, il ne s’agit que de relais de la politique étasunienne pour manipuler les
perceptions au profit des États-Unis comme on a pu le voir dans la crise grecque
et, auparavant, sur la scène bancaire étasunienne, lorsque des établissements
étaient encore notés AAA trois jours avant leur mise en faillite !
Cependant, ce ne sont pas que des bénéfices à court terme qui sont recherchés.
C’est aussi le fléchissement de la production intellectuelle des pays vassaux
pour qu’ils ne viennent jamais concurrencer de manière sérieuse le centre de
l’empire dans ses prérogatives. La encore, il suffit de prendre connaissance des
objectifs généraux dans un rapport comme le “Project for a new American
Century”, dont le contenu est public et dont la genèse ne relève en rien du
complot. Cet infléchissement de la production intellectuelle est accompli de
deux manières. La première, en favorisant la création de structures
contraignantes pour la production intellectuelle dans les pays vassaux. La
deuxième, en diminuant les potentiels individuels et en décourageant les
vocations ailleurs que dans les pays anglo-saxons.
Dans le premier cas, on crée ou on suscite la création de structures
contraignantes. Par exemple, la recherche scientifique ne se fait plus que sur
des thèmes à la mode et agréés par des instances extérieures aux laboratoires
qui décident de plus de l’octroi des fonds de recherche. Elle doit faire l’objet
de publications dans un anglais mal maîtrisé et dans un système qui est
totalement sous la houlette des anglo-saxons. Le chercheur sera également soumis
au système des citations qui est, lui aussi, totalement encadré par les
anglo-saxons. De plus, la recherche est de plus en plus une recherche appliquée
étroitement subordonnée aux besoins économiques perçus.
Dans le deuxième cas, on s’efforce de diminuer les potentiels individuels qui
peuvent être réduits de diverses manières. Il est inutile de revenir ici sur
l’affaiblissement des formations scolaires qui, en France, a fait l’objet de
nombreux ouvrages. Les visées impériales rejoignent ainsi les objectifs de
l’oligarchie locale qui cherche à consolider ses positions aux dépens du
bien-être des citoyens et du progrès tout court. Parallèlement, on fait la
publicité d’intellectuels moyens ou médiocres et on essaye d’inverser les
valeurs : sportifs recevant des rémunérations royales pour des activités
infantiles, acteurs moyens recevant des cachets correspondants à plus que ce que
gagne le salarié moyen en une vie, etc.
Les conséquences
Les conséquences de ces attaques sont prodigieuses. Elles sont d’ordre
linguistique, culturel et elles portent également atteinte à notre productivité
et au prestige international dont notre pays a bénéficié dans les cinq derniers
siècles. On est tout d’abord perdant dans la guerre de représentation que nous
livre le monde anglo-saxon. Représenter, c’est rendre présent. Le manque de
représentation rend absent à son propre environnement, à soi-même. La guerre de
représentation est une guerre où la maîtrise et le trucage de l’information
jouent les premiers rôles. Ainsi, les actions décrites précédemment occultent
nos contributions, notre art, notre science. Un cerveau occupé par quelqu’un
d’autre se détourne automatiquement de ses propres productions culturelles et
intellectuelles ainsi que celles des autres pays, non anglophones en
l’occurrence. Dans le cadre de la perte de mémoire collective et de l’altération
des perceptions, on peut observer, par exemple, que :
Les Français ont oublié que le premier vol motorisé était français, celui de
Clément Ader en 1890.
Les Allemands ont oublié que l’invention de l’ordinateur a été le fait d’un de
leurs compatriotes, Conrad Zuse.
Le monde a oublié que Charles Darwin s’est largement inspiré de Lamarck, Vanini,
Maillet et Diderot.
Le monde a oublié que le premier micro-ordinateur était français ce que l’on
redécouvre au musée de l’informatique de Boston.
Le monde informatique ne sait pas que les algorithmes de reconnaissance de
l’écriture manuscrite utilisés par la firme Apple sont d’origine russe.
Le monde ne sait pas que c’est grâce au travail des Français Meyer, Morlet et
Grossmann qu’on a pu mettre dans les mains du grand public la vidéo numérique.
Le monde ne sait pas qu’Internet est un projet américain qui a consisté à
améliorer le projet français Cyclades.
Le monde attribue de manière erronée la découverte de la pénicilline à Fleming
alors que la paternité de cette découverte revient à Ernest Duchesne en 1897.
Le monde ne sait pas que la découverte de l’Helicobacter Pylori est d’origine
cubaine alors que c’est un chercheur australien qui a reçu le prix Nobel pour
cela.
Le monde n’a toujours pas pris conscience de la fausseté des informations
distillées par les agences de cotation boursière américaines qui certifiaient en
2007 la solidité de certains établissements bancaires qui faisaient faillite
trois jours après.
Le monde ne sait pas que l’ambiguïté de la langue anglaise a été la cause de
nombreux accidents d’avion (Exemple d’instruction ambigüe ayant été la cause
d’un accident : « Turn left right now ! »).
Le monde ne sait pas que la prétendue prédominance américaine ne vient pas d’une
supériorité créative, d’une supériorité d’invention, mais du succès de la
diffusion de son idéologie et de sa langue qui ont induit un complexe
d’infériorité qui, depuis la seconde guerre mondiale, règne en France sans
partage dans le monde des affaires, chez les fonctionnaires et dans l’opinion
publique.
Les Français ne savent pas que le drame des irradiés d’Epinal a eu pour cause
l’absence de traduction des modes d’emploi (rédigés en anglais) utilisés par les
techniciens.
Les Français ne sont pas conscients que, en France, au sein de certaines
compagnies françaises, les syndicats doivent combattre la politique du tout
anglais imposée par leur direction, alors que le personnel n’a aucun contact
avec des étrangers
Le monde non américain ne semble pas être conscient qu’il paye pour presque
toutes les guerres américaines du moment grâce au statut du dollar qui ne vaut
plus rien mais qui est accepté par tous, puisque les États-Unis réussissent
encore à imposer le dollar pour les achats de pétrole au reste de la planète
Le monde ne semble pas se rendre compte que la crise financière actuelle est dû
au fait que le monde dit développé a copié les méthodes américaines de gestion
financière et adopté un modèle qui est erroné dès le départ.
Les ponctions financières directes
En ce qui concerne la ponction financière relative à la colonisation
linguistique, François Grin, spécialiste en économie des langues à l’université
de Genève, estime à 15 milliards d’euros le revenu global que la Grande-Bretagne
tire de l’enseignement de sa langue sur le continent européen. Si l’on tient
compte d’un coût de travail horaire moyen de 21,2 euros pour l’Europe
occidentale, l’enseignement des langues en Europe continentale, quand il se
substitue au travail (cours en entreprise), est équivalent à une perte sèche de
210 milliards d’euros, soit plus de 3 fois le coût de l’enseignement lui-même et
nous savons que l’essentiel de cet enseignement est, actuellement, celui de
l’anglais.
A la Commission européenne, si l’on considère que, globalement, la communication
se fait à 50% en anglais alors que le poids de la Grande-Bretagne n’est que de
13% et que le coût global de traduction et d’interprétation est de 2,76
milliards d’euros, l’usage déséquilibré de l’anglais coute ainsi 2 milliards de
trop à l’ensemble des pays membres !
La France n’est pas consciente de l’infléchissement considérable de sa
production intellectuelle, monopolisée actuellement par les agents de l’empire
prescripteurs d’opinion, de sa production scientifique qui reste actuellement
sagement dans le sillon de la science anglo-saxonne, de sa production culturelle
qui n’a plus grand intérêt dans la mesure où elle suit d’autres modèles. Voici
ce qu’en disait un dirigeant politique de la région des Balkans, dont je ne
citerai pas le nom mais qu’on a noirci à plaisir du fait qu’il s’opposait à
l’empire :
« La diminution du sens critique anesthésie la société au point qu’elle ne peut
plus se rendre compte de l’attaque identitaire dont elle est victime par le
biais de la langue, ainsi que par d’autres moyens. En fait, le manque de
réaction actuel est simplement caractéristique d’une société qui ne sait plus
envisager son propre avenir, autrement que sur le très court-terme. Il est
impossible de dissocier le phénomène linguistique de ses contextes économique et
politique. L’affaiblissement ou la perte des identités nationales qui en résulte
est l’une des pires choses qui puissent arriver à un peuple. Quand cela se
produit, très vite, les citoyens se séparent de leur histoire, de leur passé,
tandis qu’ils glorifient celui d’autres pays. Ils abandonnent leurs traditions,
leur manière de vivre. Ils oublient rapidement leur langue littéraire et
minimisent l’importance de leurs propres réalisations, de leur littérature
nationale quand ils ne l’ironisent pas comme « nostalgie du passé ». L’identité
nationale se réduit ainsi rapidement à quelques plats locaux, quelques chansons
et danses folkloriques et les noms de quelques héros nationaux sont alors
utilisés comme marques de cosmétiques ou de produits alimentaires tandis que
l’on décore les acteurs, les écrivains ou même les historiens de la puissance
dominante. Il s’agit d’une forme moderne de colonisation qui efface la mémoire
collective des peuples et, bien entendu, favorise la progression de la langue de
la puissance occupante - par procuration le plus souvent - ainsi que la place
occupée par ses “œuvres culturelles”, qui occultent rapidement les productions
locales. Parler la langue maternelle dans les occasions officielles devient un
signe d’infériorité, de faiblesse et même de mesquinerie et d’ignorance ; alors
qu’utiliser la langue dominante souligne l’opulence, la modernité du discours,
la supériorité intellectuelle de celui qui prend la parole. Quant aux leviers de
commande du pays, ils passent rapidement dans des mains étrangères par le biais
de collaborateurs convaincus et zélés qui prêchent la tolérance, la coopération
avec les autres peuples, “l’ouverture” au monde extérieur et qui vantent les
mérites de la mondialisation. La possibilité de libre parole est restreinte ou,
tout au moins, occultée par le terrorisme intellectuel, c’est-à-dire le
“politiquement correct”, et la censure par omission médiatique. La créativité
s’amenuise… Ce qu’il en reste, généralement, ne s’applique plus qu’au secteur
technique selon des lignes d’évolution imitées ou définies ailleurs. Cette fuite
dans la médiocrité s’accompagne de grands discours creux sur le “progrès”,
défini d’après le modèle mis en place par la puissance néo colonisatrice et
l’idéologie qu’elle diffuse, et qui font un usage immodéré des termes et des
stéréotypies qui l’accompagnent… »
Comme pour la plupart des pays d’Europe occidentale, l’impact sur la France de
la colonisation mentale qu’elle subit affecte directement et énormément le
prestige international dont elle a bénéficié dans les cinq derniers siècles.
L’étranger qui se rend en France, quand il n’est pas réfugié économique,
remarque tout de suite le fait que la France est un protectorat américain. Il
voit tout de suite que son système universitaire n’a de cesse d’imiter le modèle
américain et qu’il en est de même du système financier. Il voit l’omniprésence
des films américains et des séries américaines à la télévision. Il voit qu’une
publicité directe et indirecte est constamment faite à propos des États-Unis. En
conséquence, les universités d’Europe continentale ne peuvent plus attirer les
meilleurs des étudiants étrangers. On vient étudier en France parce que les
études universitaires demeurent pratiquement gratuites et que les étudiants
étrangers peuvent toucher l’aide au logement de la caisse d’allocations
familiales dès leur arrivée. Les instituts d’enseignement dont nous disposons à
l’étranger ou celles qui sont sous l’égide de la francophonie institutionnelle,
subissent la même désaffection sauf, semble-t-il, dans le cas de la Sorbonne à
Abou Dhabi car les jeunes étudiants arabes sont de moins en moins les bienvenus
aux États-Unis.
En conclusion
Comme Marc Favre d’Echallens l’écrivait récemment dans Marianne, le capitalisme
financier actuel ravageur avec ses dérives frauduleuses “madoffiennes”, en passe
aujourd’hui d’imploser, est aussi le produit de l’anglophonisation de nos élites
qui ont suivi les mêmes cursus universitaires, qui sortent des mêmes écoles.
Ecoles qui imposent des filières en anglais, collaborent avec zèle avec des
universités américaines et qui sont classées et notées par des revues, journaux
ou instituts anglo-saxons qui jouent le rôle, mutatis mutandis, des agences de
notation financière (cf. le classement du “Financial Times” des Masters en
management).
Là aussi, le tout à l’anglais – le tout en anglais a pour résultat cette pensée
unique qui a contribué aux crises bancaire, financière, monétaire et idéologique
actuelles par panurgisme idéologique et linguistique ; aucune pensée
indépendante, aucune approche économique novatrice. Bien au contraire, en une
génération, la quasi-certitude d’un progrès s’est peu à peu effacée devant
l’évidence d’une formidable régression sociale, écologique, morale et politique.
Car la diversité linguistique, c’est aussi la diversité des pensées et des
visions du monde. Tout ce qui n’est pas en anglais est déprécié. L’aliénation
linguistique et l’humiliation culturelle ont toujours comme effet
l’assujettissement économique et le déclassement social.
La crise financière et maintenant économique montre en pleine lumière
l’indécence de nos “élites” à vouloir nous imposer le modèle économique mis en
place à la fin du 20e siècle dans les pays anglo-saxons, modèle qui est le
meilleur des systèmes comme le Titanic était le meilleur des paquebots en 1912…
Note : “Une colonie ordinaire du XXIe siècle” de Charles Xavier Durand (275
pages), publié par “E.M.E. société” en 2010, est disponible sur la plupart des
librairies en ligne. ISBN : 978-2-87525-048-3,